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Un Dangereux Remède





Le chérubin à la mouche, issu du tableau La Madone Sixtine  d'après Raffaël




Un pâle soleil se levait sur une nouvelle journée. Les rues étaient d’un calme surréel, les

volets des maisons étaient toujours clos. Les oiseaux ne chantaient pas, aucune voiture ne circulait. D’ailleurs, celles qui restaient étaient presque complètement envahies par la végétation. Alors qu’on aurait pu croire à une ville fantôme, une porte s’ouvrit doucement. La personne derrière prenait bien soin de la soulever pour éviter tout grincement. Après quelques minutes, la plainte d’un chat se fit entendre à l'arrière de cette maison. Quelques secondes de flottement et un martèlement de pas. Une foule, nombreuse, se rapprochait de plus en plus. Sans attendre et sans plus se soucier du bruit, une tête brune coiffée d’une queue serrée surgit de la porte, désormais ouverte en grand. La jeune fille était suivie d’un petit garçon, qu’elle attrapa violemment par la main, et tira derrière elle. La panique se lisait sur le visage de l’enfant alors que celui de la jeune fille, stoïque, ne trahissait aucune émotion. Elle n’hésita pas une seconde et l’entraîna à l’opposé des bruits de pas, vers le bout de la rue.


Alors qu’ils atteignaient enfin le carrefour, ils les virent surgir. De loin, on aurait dit une foule enragée. Ils se distinguaient par des yeux rouges injectés de sang et vitreux, des vêtements en piteux états, des cheveux sales et emmêlés. Et une agressivité accrue. Sans hésitation, la jeune fille poussa le petit garçon vers la droite en lui désignant du doigt une grande bâtisse de style colonial. Elle lui rappela de se taire, son doigt sur la bouche et changea brusquement de trajectoire en hurlant, faisant tomber les poubelles sur son passage, tapant dans les boîtes aux lettres. Elle n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qu’ils la suivaient, leurs grognements et le bruit de leur course, assourdissants, derrière elle.


Elle sauta une clôture au hasard et l’herbe commença à étouffer le bruit de ses pas, eux-mêmes se faisant plus légers, à l'image d'un félin. Ses poursuivants ralentirent, sans pour autant s'arrêter. Elle passa de jardin en jardin, contournant le gros des troupes pour rejoindre l’imposante maison qu’elle avait repérée plus tôt. Par la fenêtre de la porte donnant sur le potager où elle venait d’entrer, elle vit une petite tête brune dépasser. Ses derniers poursuivants se trouvaient à une cinquantaine de mètres. Elle accéléra, poussant son corps au maximum. Alors qu’on aurait dit qu’elle allait traverser la porte, celle-ci s'ouvrit brutalement avant de claquer aussitôt derrière elle.


Il lui fallut plusieurs minutes avant de reprendre son souffle, l’horrible bruit des ongles grattant contre la barrière en métal faisant écho dans cette maison vide et silencieuse. Après une dizaine de minutes ou peut-être une heure, il n’y eut plus trace de cette horde immonde, dont l'attention s'était portée sur une autre créature.


La jeune fille se dirigea vers une porte, l’ouvrit sans bruit. Le salon. Elle la referma. Une autre. La cuisine. Elle entra, le garçon dans son sillage. Dans cette cuisine, se trouvaient deux portes. La première menait à un petit cagibi contenant des biscuits et autres denrées. La deuxième s’enfonçait dans les profondeurs de la maison. Elle choisit cette dernière et tira une corde suspendue au mur. Une ampoule nue éclairait ce qui ressemblait à une cave. Le petit garçon, docile, buta contre elle quand elle s'arrêta au pied des marches. Elle se retourna et, toujours très calme, le gifla. Le garçon ne broncha pas, d'un calme effrayant. Elle s’agenouilla à sa hauteur, le prit par les épaules,l’obligeant à la regarder. Sa voix était basse, mais on sentait la colère et surtout la peur poindre:


-Pourquoi est-ce que tu as pris le chat Mickey? Je t’avais dit de le laisser. Qu’est-ce que tu aurais fait si les enragés t’avaient attrapé? Tu sais de quoi ils sont capables, on les a déjà vu…


Sa voix s’éteignit, la suite étant imprononçable, surtout pour elle.


Pourtant, le visage de Mickey resta stoïque, presque inexpressif, ce qui la perturba un peu, mais elle finit par soupirer doucement et le prit dans ses bras. Elle détestait être méchante avec lui mais elle avait tellement peur qu’il lui arrive quelque chose. Elle ne se le pardonnerait jamais. Surtout pour un chat errant qu'il avait ramassé sur la route. Elle se releva, le prit par la main et remonta les marches. Ils farfouillèrent dans la cuisine et trouvèrent des sucreries. De la glace et une partie des gâteaux y passèrent. En général, elle évitait qu’ils mangent trop de cochonneries mais aujourd’hui, Mickey en avait bien besoin. Et elle aussi. Tout se fit presque en silence, avec des bruits étouffés. Même si les enragés n’entendaient pas un soupir à des kilomètres à la ronde, leur ouïe restait très fine. Après le repas, ils montèrent dans la salle de bain, firent leur toilette avec ce qu'ils trouvaient et se mirent dans un lit kingsize, probablement la suite parentale. Alors qu’elle le pensait endormi, il murmura:


-Pardon Jenny, pardon.


Son cœur sombra en entendant la voix de chien battu de son petit frère. Elle écouta, jusqu’à ce que sa respiration se fasse plus régulière et profonde. Elle, en revanche, ne sombra qu'aux petites heures du matin. Elle aurait pu prendre des somnifères, presque tous les américains en possédaient mais elle s’y refusa, craignant que quelque chose n'arrive durant la nuit. Son sommeil n’était jamais trop long, ni trop profond, elle se réveillait régulièrement en sursaut, au moindre bruit suspect, au son des rats courants sous le plancher. Ou parfois à celui des horribles cris d’une pauvre créature ayant eu le malheur de se faire attraper. Ces bruits pouvaient durer de longues minutes. La première fois, elle avait essayé de se boucher les oreilles avec ses mains mais rien n’y faisait; les cris, passant entre ses doigts, résonnaient dans ses oreilles, encore et encore. Désormais elle savait que la seule chose à faire était d’attendre, en se concentrant pour ne pas laisser l’angoisse la rendre folle. Heureusement Mickey avait le sommeil profond des enfants. Elle aurait aimé le protéger pour toujours, quitte à ne pas revenir… C’est sur ces pensées qu’elle s’endormit, d’un sommeil noir, sans rêve.


Six mois plus tôt:


Jenny était paresseusement étendue de tout son long dans l'énorme canapé d’angle devant l’imposant écran plasma. Elle soupira profondément, telle une héroïne de tragédie grecque. Elle n’en pouvait plus de cette fichue pandémie. Covid par-ci, covid par-là… La télévision ne parlait que de ça depuis deux ans et les gens finissaient enfin de se faire vacciner. Sa mère, comptable, et son père, pharmacien, s’étaient déjà faits vacciner, tous deux privilégiés.


D’ailleurs, son petit frère Mickey et elle, auraient déjà dû l’être depuis un bon moment aussi. Cependant, Michael surnommé Mickey, avait toujours eu une santé fragile et un système immunitaire faible. Voilà pourquoi, depuis presque deux ans, il ne sortait plus que rarement, sa mère étant parano depuis qu’il avait failli y rester quand il n’était encore qu’un jeune enfant. Donc, chaque sortie était surveillée, les gestes barrières scrupuleusement respectés et tout ce qu'il touchait intensément désinfecté. La seule personne extérieure qui entrait régulièrement en contact avec lui était son tuteur personnel, que sa mère avait choisi avec soin, au cours d’un long et rigoureux entretien. Jenny le plaignait, elle avait l’impression de voir un petit chiot en cage. Elle était toujours gentille et patiente avec lui, même lorsqu’il piquait des colères, dans ses plus mauvais jours.


Pour elle, le fait qu’elle ne soit pas vaccinée résultait d’autre chose. C’était un choix personnel. Pourtant elle était vaccinée contre le tétanos, l'hépatite B et même le papillomavirus. Alors pourquoi pas le coronavirus? C’est la question que ses parents lui posaient sans cesse lors de leurs nombreux affrontements à ce sujet. Elle ne l’aurait avoué pour rien au monde mais au fond, c’était une question de contradiction adolescente plus qu’autre chose. Elle détestait se sentir brusquée, et encore plus obligée de faire quoi que ce soit. Ce qui était le cas avec ces maudits passes sanitaires mis en place!


Alors qu’elle pensait à tout ça, deux petites mains pâles et une tête blonde surgirent de derrière le canapé pour lui attraper les pieds et la tirer. Elle se redressa d’un coup, attrapa les bras des Mickey et le tira vers elle, l’obligeant à se coucher à côté. Pendant qu’elle lui faisait un câlin forcé alors qu’il se débattait en riant, deux énormes bras les entourèrent avec un grognement d’ours. Leur père se coucha derrière eux et ils restèrent blottis comme ça jusqu’à ce que leur mère les appelle à table. Les deux garçons ne se firent pas prier mais Jenny resta un peu plus longtemps avant de se lever. Elle aimait ce quotidien tranquille et en savourait chaque instant. Alors qu’elle allait éteindre la TV, soudainement, une image apparut à l’écran.


Cette scène était indescriptible. Un reporter se tenait à quelques dizaines de mètres d’une foule. Derrière lui, le chaos était total. Les gens vociféraient, se battaient, se mordaient, se griffaient, se piétinant les uns les autres. Elle eut à peine le temps de lire la banderole rouge au-dessous de l’écran “Flash info: crise d’hystérie collective en Israël…” avant de voir avec horreur le journaliste à l’écran se prendre un violent coup de poing à la tempe.


Brusquement, l’image disparut et le programme précédent, une série à l’eau de rose, réapparue à l’écran, comme si rien ne s’était passé. C’est son père qui avait changé, voyant le choc sur le visage de sa fille, incapable de bouger. Il avait tenté de la rassurer, en lui disant que c’était courant depuis quelques jours aux nouvelles. Qu’il ne fallait pas s’inquiéter et que c’était juste un nouveau variant beaucoup plus agressif mais qu’il était confiné aux pays étrangers. Ils rejoignirent sa mère à table et elle mangea, un peu plus soucieuse qu’à l'accoutumée. Elle monta se brosser les dents, dit bonne nuit à ses parents, passa dans la chambre de son petit frère le border puis elle s’effondra sur son lit. Même si cette journée avait été éreintante, elle ne parvint pas à trouver le sommeil. Le flash à la télévision lui revint en mémoire. De toute sa vie, elle n’avait rien vu de tel. Elle ne pouvait empêcher le regard terrifié du présentateur de revenir hanter ses pensées, s’inquiétant de voir les gens s’entre-déchirer de la même manière dans sa ville. Même si c’était peu probable, elle ne pouvait quitter cette impression de malaise qui lui collait à la peau. Quand elle réussit enfin à s'endormir, la lune était déjà haute dans le ciel. Son sommeil fut agité et de courte durée.


Elle se réveilla en panique, à la suite d'un gros bruit. On aurait dit un verre qui se brisait. Elle regarda directement son réveil dans la nuit noire : 3h17. La maison avait retrouvé son silence habituel, mais, inquiète, elle décida d’aller vérifier, sachant au fond que quelque chose était anormal. Elle balança ses pieds nus hors de son lit et frissonna au contact du parquet froid. Elle sortit de sa chambre à pas de loup pour ne pas réveiller le reste de la maison. Alors qu’elle faisait craquer la première marche de l’escalier, le halo de lumière provenant de la cuisine attira son regard. Un sentiment de malaise la saisit, si fort qu’elle dû se forcer pour faire avancer ses pieds. Deuxième marche, toujours aucun bruit. Lorsque son pied se posa sur le carrelage froid du hall, elle entendit un bruit étrange, comme un gargouillis dégoûtant, un peu comme quelqu’un qui se racle la gorge. Lorsque ses yeux s’habituèrent à la lumière, toute l’horreur de la scène la frappa et elle se retourna pour rendre son repas.


Toute tremblante, elle ne voulait plus se retourner pour faire face, l’image étant déjà imprimée sur sa rétine. Ses parents gisaient tous les deux dans une mare de sang, face contre terre. La femme, qui avait été sa mère, avait la gorge tranchée. L’homme, qui quelques heures plus tôt l'avait serré dans ses bras, avait été poignardé à plusieurs reprises sur tout le corps. Un mouvement dans un coin de la pièce la fit sortir de son état de sidération. Elle comprit avec effroi que c’était Mickey, qui avait probablement assisté à toute la scène. Elle le tira de force hors de la cuisine, alors qu’il ne bougeait pas. Ce n’est qu’en montant qu’elle l’entendit commencer à pleurer. Elle le porta sur son lit et le serra longuement dans ses bras, n’osant pas lui demander ce qu’il avait vu, d’une part de peur de le traumatiser une seconde fois et d'autre part… Elle n’était pas sûre de vouloir savoir ce qu’il s’était passé. Alors qu’elle aidait son petit frère à enlever son pyjama souillé de sang et à rentrer dans la baignoire pour laver son petit visage, lui aussi barbouillé de sang, il dit :


- C’était comme à la télé. Papa et maman étaient… c’était vraiment horrible. Ils ont sauté l’un sur l’autre quand je suis arrivé dans la cuisine pour prendre un verre d’eau. Je ne sais plus…


Alors qu’il la regardait avec ces yeux perdus et innocents d’enfant, elle le serra pour la énième fois dans ses bras en lui disant des paroles rassurantes. Elle ne voulait pas raviver le traumatisme et aurait préféré qu’il oublie ce qu’il avait vu ce jour-là.


Quand elle eut fini de le sécher, elle lui demanda d’aller préparer quelques affaires et alla faire de même.


Elle commença par ouvrir les portes de sa garde-robe. Quelque chose tomba par terre et elle le ramassa. Une vieille photo de leurs vacances en famille, quand Mickey était encore tout petit. Ses mains se mirent à trembler et elle ne put empêcher deux grosses larmes de couler sur la photo. Même si elle était profondément choquée, elle n’avait pas le temps de s’apitoyer ou de réfléchir. Elle devait agir. Pour Michael. Elle la mis précieusement dans le seul livre qu’elle emporta et fourra tout le stricte nécessaire dans son gros sac de sport: des vivres, de l’eau et quelques trucs utiles comme une boussole, une carte, un briquet… et la collection de couteaux de chasse de son père, bien rangé dans des étuis, au cas où. Elle se changea rapidement et fit ce qu’elle redoutait tant.


Elle descendit silencieusement les escaliers et marqua un temps d’arrêt sur la dernière marche. Elle obligea son corps à avancer malgré son envie de prendre ses jambes à son cou. Elle essaya de ne pas regarder dans la pièce mais ne put empêcher ses yeux de glisser sur les corps mutilés. Elle eut encore des hauts-le-cœur mais se retint de vomir une seconde fois. Au-delà de l’absurdité de la scène, quelque chose la dérangeait.  Elle ne savait pas quoi. Elle ne s’attarda pas plus et ferma la porte. Un morceau de porcelaine provenant du vase qui avait été fracassé durant la bagarre, crissa sous son pied alors qu’elle quittait sa cuisine pour la dernière fois. Pendant qu’elle entrait dans la chambre de son petit frère en essayant de ne rien laisser paraître, elle tomba sur une scène étrange. Son petit frère était assis seul, dans le noir. Il ne pleurait pas, ne souriait pas. Non, au contraire son visage n'exprimait absolument rien. Lorsque le parquet craqua sous son poids, cette expression disparut et elle retrouva son petit frère, anxieux et triste. Elle mit cela sur le compte du choc. Sans un mot, ils prirent leur bagage et s'en allèrent sans se retourner.


La porte fermée, elle ne sut que faire. Le soleil pointait à l’horizon et des cris commençaient à se faire entendre un peu partout dans la ville. Depuis, ils erraient, ne sachant où aller, évitant les enragés. Jusqu’au jour où, en fouillant une grosse maison luxueuse à la recherche de nourriture, elle était tombée sur un mot à côté d’un petit carnet, le tout sur un bureau, accompagné d’une photo de famille heureuse. Sur le premier était noté “Aux survivants”. Dans le deuxième se trouvaient des informations très étranges. Il y avait une carte qui indiquait un point de la ville au nord entouré en rouge, à environ 10km d’eux. Et puis tout un tas d'informations médicales qu’elle ne comprenait pas. Seuls certains mots lui sautèrent aux yeux tels que “Covid-19” et des noms de vaccins bien connus. Et plein de photos d'enfants accompagnées de leur fiche médicale. Ses mains se mirent à trembler lorsqu’elle commença à en reconnaître certains. Ceux qui étaient à l’hôpital avec son petit frère à cause de leur immunodéficience. La dernière fiche était celle de Michael Cooper avec écrit en grosses lettres soulignées “SOLUTION”. Elle ne réfléchit pas. Ils allaient au nord. Elle fourra le carnet dans son sac, finit ses fouilles et partit avec Mickey.


C’était six mois avant l’incident du chat.


Aujourd’hui, dans une building au nord:


L’homme regardait le soleil se lever à l’horizon, un verre hors de prix à la main. Il n'y avait rien de mieux pour apprécier une camomille qu'un verre en cristal. Après deux coups à la porte, discrets mais bien distincts, un homme en costume noir entra. Sans attendre que l’homme se retourne, il commença son rapport:


-Nous avons parsemé des indices un peu partout dans un rayon assez large autour d’eux avant qu’ils n’arrivent. S’ils n’ont pas déjà trouvé l’un d’eux, ce n’est qu’une question de temps. Ils viendront d'eux-mêmes et atteindront la Ville d’ici trois jours, cinq au maximum.


-Et la horde?


-Elle est beaucoup plus à l'est. Seul un petit groupe est à proximité d'eux mais ils devraient l'éviter sans problème, monsieur Quann.


L’homme à la camomille hocha la tête, l’air satisfait et ordonna:


-Faites monter le Docteur Stink. Je veux des réponses. Tout de suite.


Quelques minutes après, un coup sonore et unique retentit. Un homme en blouse blanche entra, le visage fermé. Quann se retourna enfin et lui demanda, impatient:


-Alors? 


-Toutes ses recherches ont été confirmées. Le môme est capable de supprimer les effets du champignon. Bien que, par des manipulations dont je vous ferai grâce, on puisse amener le Ophiocordyceps unilateralis à rendre le cerveau aussi mou qu'une éponge, et induire un comportement extrêmement violent aux individus, le gamin peut supprimer cet effet. Les personnes infectées perdent leur odorat et leur ouïe surdéveloppés mais leur cécité et leur état de… zombie (il fit une grimace en employant ce mot) demeurent. En résumé, ils deviennent des légumes aveugles.


Le bruit d'une gorgée sonore ponctua la fin de sa phrase. Il continua, aucunement perturbé:


-Le champignon n’est toujours transmissible que par injection. Les individus attaqués ne se “transforment” pas, ils sont juste battus à mort, puis la horde se désintéresse d’eux.


Le seul remède connu est la transfusion de liquide céphalo-rachidien de l’individu connu sous le nom de Michael Cooper, souffrant d’une immunodéficience innée unique. Nous ne savons toujours pas grâce à quel processus il neutralise les champignons, mais il les élimine bel et bien en moins de 24h.


Quann avait repris son air impassible et congédia le chercheur. Il devait ramener le gamin. C’était le seul moyen pour sauver sa nouvelle ville. Lui seul pouvait contrôler la horde, grâce au vaccin injecté à la population. Il s’était assuré d’être intouchable en injectant une partie de son code génétique à ce champignon.


Certains le traiteraient de fou ou de tyran mais lui ne doutait plus. Il connaissait les ravages que pouvait causer le libre arbitre. Le crime, le meurtre, le viol. La violence. Lui rêvait d'un endroit sûr pour sa descendance à venir. La perte de son unique fille, dix ans plus tôt, lui avait suffit. Depuis, il n’avait de cesse d’observer les différentes civilisations et sociétés pour trouver le moyen d'annihiler les conflits et le mal, en plus d’amasser une richesse conséquente. L’apparition du coronavirus avait été comme un signe divin pour lui, il avait sauté sur l’occasion pour mettre en place ce système pour contrôler et réguler la population en secret.


Désormais il régnerait impitoyablement mais justement sur sa ville. Même si pour cela il devait sacrifier la vie d'innocents pour assurer sa toute-puissance, pour montrer au monde ce qu'il pouvait advenir si on franchissait la ligne blanche. C'était une étape douloureuse mais nécessaire à l'installation d'une paix durable et il en prendrait le poids sur ses épaules. C'est aussi pour ça qu'il avait besoin du remède, du petit Cooper.


Dix kilomètres au sud :


Jenny et Mickey étaient partis depuis longtemps. Il était à peu près midi quand Mickey s’arrêta d’un coup. Il ferma les yeux et tourna la tête. Inquiète, sa sœur écouta aussi, redoutant le bruit d'une course effrénée. Mais ce qu'elle entendit, quelques secondes après son petit frère, était tout autre. C'était le rire d'un homme, étouffé mais reconnaissable, bien qu'ils n'aient croisé personne depuis le début de cette maladie. Une centaine de mètres plus loin, une porte s'ouvrit et trois personnes en sortirent prudemment. Deux hommes et une femme. Mickey oublia complètement où il était, rassuré de voir enfin des adultes. Ils étaient sauvés! Il couru vers eux, en criant:


-Eh oh! On est là! Attendez-nous!


Jenny étouffa un juron et se mit à courir, une dizaine de mètres derrière son petit frère.


C'est là qu'ils apparurent.



Sortant d'une ruelle perpendiculaire, une petite horde surgit, ayant entendu Mickey. Le temps s'arrêta. Il serait trop lent tout seul mais à deux, ils pouvaient s'en sortir. Alors qu'elle allait l'empoigner pour le tirer avec elle, il se retourna soudainement et la poussa. Jenny n'eut pas le temps de faire les liens dans sa tête, néanmoins elle vit le visage de Mickey. Il affichait la même expression qu'elle avait surprise la nuit où ils étaient partis, à l'exception d'un sourire froid, sadique.


C'était la vue qu'elle emporterait avec elle, alors qu'une main l'attrapait pour la jeter à terre, elle sentit la panique. Elle avait déjà vu les enragés à l'œuvre. Ce fut pire. Entre les morsures, les coups et les griffures, tout son corps hurlait de douleur, tout comme elle. Au loin elle entendit une détonation assourdissante et soudain un grand froid l'envahit, la douleur cessa. Elle s'en alla les yeux dans le vide, sachant que Mickey, l'être qu'elle aimait plus que tout, l'avait tuée.


La femme aux longs cheveux roux qui avait accueilli Mickey dans ses bras, le serra fort, sentant ce petit être trembler de tout son corps contre elle. L'homme le plus âgé prit le fusil à lunette sur son épaule et le posa sur le capot d'une voiture. Avec un sang-froid effrayant, il visa la masse informe d'où dépassait la tête de la jeune fille et tira un seul coup, résonnant dans le silence. Lorsqu'il vit qu'elle avait cessé de s'agiter, il remit son fusil en place et repartit en silence vers la petite maison d'où ils étaient sortis quelques minutes plus tôt. Bien que son cœur fut lourd comme une pierre, il commença à réfléchir à ce qu'ils allaient faire de cet enfant. Ils ne pouvaient pas abandonner ce petit, innocent et sans défense aux mains de ces monstres.


Ce que personne ne savait, ni Quann, ni ce groupe de bons samaritains mais que Jenny avait appris à ses dépens, c'est que Michael Cooper était un sociopathe. Si elle avait fait plus attention et qu'elle avait écouté son instinct au lieu d’avoir une confiance aveugle en son frère, elle aurait pu le deviner. Elle aurait pu voir le chat dont la tête formait un angle anormal avec son corps, négligemment jeté dans le jardin de la maison où ils se cachaient. Elle aurait remarqué que son père, alors qu'il venait d'être poignardé à mort par son fils en découvrant le corps sans vie et à la gorge tranchée de son épouse, avait rampé pour lui tenir la main une dernière fois. Elle aurait pu remarquer la profonde coupure que Mickey s'était auto-infligée pour feindre ses larmes grâce au morceau de l'horrible porcelaine. Elle aurait dû être plus alarmée par l'étrange calme qui habitait son frère. Ce n'était pas un hasard si lui, d'ordinaire si discret et réfléchi, avait crié en voyant ces inconnus. C'était l'occasion pour lui de se débarrasser de sa sœur sans un soupçon et il le savait. Cependant, Jenny avait toujours voué un amour inconditionnel à ce petit être diabolique, manipulateur et dangereusement intelligent sur lequel reposait désormais la guérison de l'humanité.


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Léa Szecel, rédactrice chez Décryptage Citoyen International.

Le 7 février 2023

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