Til It Happens to You

Image issue du clip Til It Happens To You Lady Gaga
Je me réveillai avec difficultés ce samedi-là, la bouche pâteuse et une gueule de bois affreuse me vrillant le crâne. Je jetai un coup d’œil à mon téléphone et fronçai les sourcils, relisant le message que ma meilleure amie m’avait envoyé tard dans la nuit après notre soirée.
Comme souvent le vendredi soir, mes deux meilleures amies et moi étions sorties avec nos amis de l’université pour fêter comme il se devait la fin de la semaine. L’alcool nous était vite monté à la tête et c’est sans m’en rendre compte que je m’étais retrouvée sur la piste de danse, à virevolter au son de la musique aux côtés de Camille et Lola. Ces soirées nous faisaient toujours un bien fou, nous permettant de mettre de côté nos petits problèmes d’étudiants en nous laissant emporter par les douceurs alcoolisées, s’enchaînant au fil de la soirée.
La nuit était déjà bien avancée lorsque notre petit groupe avait décidé de quitter les lieux. Camille était ivre morte, affalée sur une des banquettes du bar, et seul un grognement me fit écho quand je la secouai pour la réveiller. Elle s’était disputée un peu plus tôt dans la soirée avec notre ami Olivier et je la connaissais par cœur : elle préférait fuir ses problèmes plutôt que de les affronter. L’alcool était donc la solution tout indiquée. Elle avait cependant un peu trop forcé et je n’étais pas du tout en état de la ramener, tenant moi-même à peine sur mes jambes. Olivier se proposa donc pour la raccompagner, habitant non loin de son appartement, et je fus soulagée. La relation que ces deux entretenaient était des plus ambiguë. Ils se tournaient autour sans jamais passer la frontière que leur amitié avait tracée mais je savais qu’ils tenaient beaucoup l’un à l’autre. Il était de plus suffisamment sobre que pour trouver son chemin sans se tromper, je lui confiai donc le bien-être de ma meilleure amie.
Comme toujours, j’avais envoyé un message à Lola et Camille pour être certaine qu’elles étaient rentrées chez elles. Si la première m’avait immédiatement répondu, ce n’est qu’une demi-heure plus tard que la seconde me confirma être rentrée avec ce bref message :
« Je suis chez moi. »
Or je connaissais Camille depuis ma plus tendre enfance, jamais elle ne répondait ainsi à un message. Peut-être était-elle trop saoule pour rédiger un long message, c’était possible, mais c’était tout de même étrange. C’est pourquoi je décidai de faire un saut par chez elle dans l’après-midi. Elle me sauta au cou quand je franchis la porte de son appartement mais son grand sourire apaisa mes craintes.
« Tu as une de ces têtes, Deb, l’alcool ne te réussit vraiment pas ! »
« Tu parles, tu étais un vrai déchet à la fin de la soirée, je parie que tu ne te rappelles même pas comment tu es rentrée hier soir ! »
Son téléphone lui glissa des mains et elle se pencha en grommelant pour le ramasser.
« Sérieusement, j’étais ivre la moitié de la soirée, comment veux-tu que je me rappelle quoi que ce soit ? Enfin bon, tu veux boire quelque chose ? »
Je remarquai cependant que son sourire semblait fade, fragile, et n’atteignait pas ses yeux. Je la fixai les sourcils froncés, ne comprenant rien à la situation, quand elle passa une main devant mon visage.
« Youhou, la Terre à Debby, tu es là ? »
Je me secouai et lui demandai un grand verre de jus d’orange. Elle s’affaira dans sa cuisine et sembla de nouveau tout à fait pleine d’énergie. C’était peut-être mon imagination qui me jouait des tours, avec la gueule de bois que j’avais c’était plus que possible. L’après-midi passa sans qu’aucun autre incident ne m’alerte et j’oubliai donc mes craintes déraisonnables. Camille semblait au top de sa forme et c’était tout ce qui comptait.
Nous reprîmes les cours le lundi et retrouvâmes notre petit groupe en pleine forme. Les rires fusèrent, les discussions allèrent bon train et la journée passa sans encombre. Ce n’est qu’en rentrant chez moi que ces craintes se réveillèrent. Je n’y avais pas fait plus attention que cela mais Camille avait eu un comportement étrange vis-à-vis d’Olivier. Si je ne la connaissais pas aussi bien, je sais que je serais passée à côté de ces petits gestes mais, à chaque fois qu’Olivier avait posé une main sur son bras, son épaule, sa jambe, Camille l’avait écarté. De manière discrète, certes, elle avait fait semblant de se redresser, de s’étirer, de se diriger vers moi pour entamer une discussion. Elle l’avait ignoré toute la journée et, ça, ce n’était pas normal. Il était courant qu’ils se disputent mais jamais ils ne s’étaient éloignés de la sorte. De plus, si Camille avait été énervée sur lui, elle aurait passé sa journée à s’en plaindre auprès de moi.
Je ne comprenais rien à cette situation mais mes suspicions se confirmèrent au fil des jours. Elle sursautait légèrement lorsqu’il se penchait pour lui parler, elle évitait son regard, essayait toujours d’inclure quelqu’un d’autre dans leurs conversations. Personne d’autre que moi n’aurait pu le remarquer, après tout, quand nous discutions tous ensemble, elle jouait le jeu et n’avait pas de problème à lui adresser la parole mais on aurait dit qu’elle ne voulait pas discuter seule à seul avec lui…
« Camille, il s’est passé quelque chose avec Oliv’ ? »
J’étais allongée sur son canapé et la regardais finir de mettre la table. C’était une de ces soirées que nous nous réservions, où nous passions la nuit à discuter de tout et de rien. Elle sursauta à ma question et se tourna vers moi, le regard affolé et la main tremblante. Elle se ressaisit très vite mais ça ne m’avait pas échappé.
« De quoi tu parles ? »
Sa voix était si nonchalante que j’aurais pu m’y méprendre.
« Tu l’évites. Tu sursautes à son contact, tu ne lui parles presque plus, tu détournes le regard dès que vos yeux se croisent… Qu’est-ce qu’il s’est passé samedi ? Pourquoi vous vous êtes disputés à la soirée ? »
« Oh, ça ? Il a essayé de m’embrasser et je l’ai rembarré, c’est tout ! Je l’aime beaucoup, tu le sais, mais c’est juste un ami. Ça ne lui a pas plus et on s’est engueulés mais c’est passé. »
« Alors qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu es si mal à l’aise en sa présence ? Et surtout pourquoi tu ne m’en parles pas ? Je croyais qu’on pouvait tout se dire. »
« Tu t’imagines des trucs, Deb. Rien n’a changé entre Olivier et moi. »
Son ton était plus cassant qu’elle ne le voulait et elle pinça ses lèvres, déviant le regard pour ne pas avoir à soutenir le mien.
« Camille, il faut que tu me parles, tu ne peux pas… »
« Il m’a… ! Il… Il m’a agressée Deb. Et je ne veux pas en parler, ok ? Je ne suis pas prête à en parler. Viens manger, c’est prêt. »
C’était la première fois de ma vie que j’entendais Camille utiliser ce ton pour s’adresser à moi. Je fus tellement choquée que je décidai de clore la conversation, sentant que le terrain était trop fragile que pour que je ne m’y aventure. Cependant, mon cerveau continua de tourner à toute allure et ce n’est qu’en rentrant chez moi le lendemain matin que j’assimilai ce qu’elle m’avait confié.
Camille n’était pas mal à l’aise, elle avait peur. Peur d’Olivier. Mais comment ? Olivier n’avait pas pu faire de mal à Camille, il était bien trop gentil pour ça ! Il n’avait pas du tout la tête d’un violeur. Peut-être avaient-ils couché ensemble et Camille n’avait pas assumé ? Cette idée me donna la nausée et je me laissai tomber sur mon canapé.
Des pensées aussi chaotiques qu’effrayantes se mélangèrent dans mon esprit tandis que j’essayais de donner du sens à tout ça. Camille flirtait avec lui depuis plusieurs mois, elle devait bien se douter qu’il finirait par avoir envie d’aller plus loin. Elle s’habillait toujours de manière provocante lors de nos soirées, je lui avais répété plein de fois que c’était trop mais elle avait ri. Et si Olivier avait pris ça pour une invitation ? Était-ce la faute de Camille d’avoir trop joué avec ses sentiments ?
Je me mis une claque mentale dès que ces pensées me traversèrent l’esprit. Si Olivier avait abusé d’elle, rien ne pouvait justifier cela. Un vêtement n’était qu’un vêtement, elle aurait pu être habillée en pantalon de jogging que cela aurait eu le même effet. Camille n’avait pas pu (et au vu de ses paroles, pas voulu) donner son consentement lors de cette soirée et le fait qu’Olivier l’ait quand même agressée ne signifie qu’une chose : il avait complètement ignoré cette absence de consentement, de manière délibérée. Je réalisai alors que j’avais beau trouver tout un tas d’excuses pour Olivier, la réalité était la suivante : la seule et unique cause d’un viol est le violeur. Peu importe le flirt, peu importe ses vêtements, peu importe l’alcool que Camille avait bu ce soir-là, le seul responsable était Olivier.
Les mains tremblantes et le cœur battant la chamade, j’ouvris mon ordinateur et lançai une page Internet. C’était la première fois de ma vie que j’étais confrontée à une telle situation et je ne savais pas quoi faire. Devais-je forcer Camille à m’en parler ? Devais-je aller voir les policiers pour savoir comment agir ? Devais-je en parler aux parents de Camille pour qu’ils l’aident ?
Après des heures de recherche, je fermai mon écran, ma tête bourdonnant tellement que je n’arrivais plus à lire une seule ligne. J’avais trouvé de précieux conseils et je savais désormais quoi faire. Je ne pouvais pas la forcer à me raconter mais je savais que quelque chose de grave était arrivé. Et je devais être là pour elle, quoi qu’il en coûte.
Déterminée, je franchis le pas de ma porte avec un seul objectif en tête : parler à ma meilleure amie. Je toquai chez elle et rentrai dans son appartement malgré son air surpris. Je me plantai devant elle et lâchai mes affaires pour poser mes mains sur ses épaules, de la plus douce des manières.
« Je ne veux pas que tu me racontes ce qu’il s’est passé si tu ne t’en sens pas capable. Je suis désolée d’avoir tant insisté hier soir et de t’avoir forcée à me dire une telle chose alors que je voyais bien que tu étais mal à l’aise. Si tu n’as pas envie de me raconter, libre à toi. C’est ton histoire et tu ne me dois rien. Je veux juste que tu saches certaines choses.
Je te crois. Peu importe ce que tu pourrais me raconter, je te crois et te croirai toujours. Ce qu’il s’est passé n’est en rien de ta faute. Si tu as besoin de parler à quelqu’un, et il se peut que ce quelqu’un ne soit pas moi, on fera le nécessaire. En tous les cas, c’est ta décision. Je voulais juste que tu saches que je suis là quoi qu’il advienne. »
Je vis les yeux de Camille se remplir de larmes au fur et à mesure de mon monologue. Elle faisait de son mieux pour retenir ses pleurs mais ses épaules commencèrent à trembler sous mes doigts et elle finit par se jeter dans mes bras, de lourds sanglots lui échappant. Je lui rendis son étreinte avec autant de force et nous nous assîmes sur son canapé. Entendre mon amie pleurer ainsi me fendit le cœur et, tandis que je retenais mes propres larmes, je me flagellai mentalement pour avoir osé imaginer qu’elle puisse avoir une part de tort dans cette histoire.
Peu importe la relation qu’elle entretenait avec Olivier, peu importe ses vêtements, peu importe son attitude, elle ne méritait pas cela. Personne ne mérite cela. Dans notre entourage, personne n’aurait pu soupçonner Olivier d’être capable d’une telle chose et pourtant il avait abusé de mon amie. Il l’avait brisée et j’avais eu l’audace de douter de Camille. Je m’en voudrais à vie pour cela, c’était certain.
Alors que les pleurs de mon amie s’amoindrissaient et que le silence envahissait son salon, je sentis sa main se glisser dans la mienne. Par ce simple geste, elle recherchait un confort que j’étais plus que ravie de lui apporter. Et alors que ses paroles s’échappèrent de sa bouche pour me raconter l’horreur de cette nuit, je serrai sa main pour lui signifier que je l’écoutais et que je resterais, peu importe la teneur de son histoire.
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Emeline Vergalito, rédactrice chez Décryptage Citoyen International.
Le 24 août 2021