La représentation des femmes dans la télé-réalité : un sexisme assumé?
Dernière mise à jour : 16 sept. 2021
La télé-réalité est un milieu en plein essor qui gagne de jour en jour de l’influence auprès des jeunes générations. Les stars les plus connues regroupent des millions de followers et exposent leur mode de vie luxueux, auquel aspirent de nombreux individus. La télé-réalité est donc perçue comme un moyen facile d’obtenir un niveau de vie confortable qui ne pourrait pas être atteint autrement.
Cependant, l’envers du décor est moins attrayant. Ce milieu semble contester l’évolution des normes sociétales en restant figé dans une présentation caricaturale de ce que doit être l’homme, et surtout la femme.

Caricature par Wingz
En effet, souvent dénoncée comme le « bastion du sexisme en France », la télé-réalité a été de nombreuses fois épinglée par le Haut Conseil à l’égalité (HCE), concernant notamment la place qu’elle réserve aux femmes et l’image qui leur est donnée. Souvent critiquées sur leurs choix, jugées sur leur physique, dénigrées sur leurs capacités intellectuelles, les femmes dans ce milieu affrontent un jugement constant et doivent pourtant se cantonner au modèle qui leur est dicté afin de réussir leur carrière.
Brigitte Grésy, Présidente du HCE, et Sylvie Pierre-Brossolette, Présidente de la commission « Lutte contre les stéréotypes et rôles sociaux », après avoir étudié de nombreux programmes tels que Les Anges de la télé-réalité ou encore Koh Lanta, constatent que « les émissions de télé-réalité valorisent d’un côté l’hyperféminité des candidates et de l’autre l’ultramasculinité des candidats ». Elles dénoncent la vision « des rapports entre femmes et hommes stéréotypée et inégalitaire », où « des Don Juan dominateurs » font face à « des tentatrices ».
De telles émissions, à l’époque où l’égalité entre les hommes et les femmes est de plus en plus présente dans le débat public, devraient faire l’objet de modifications, notamment concernant la représentation des rapports hommes-femmes, au vu de l’impact négatif qu’elles peuvent avoir sur les plus jeunes.
Une vision souvent rabaissante et stéréotypée des femmes
Le modèle généralement relayé par les productions est celui de la « bimbo », femme avec un physique avantageux selon les normes de notre société actuelle, souvent loin du naturel, presque stupide, et qui est présentée dans les histoires d’amour comme la fautive qu’il faut blâmer.
Malgré ce modèle négatif et rabaissant, les candidates aux émissions de télé-réalité sont toujours plus nombreuses. Néanmoins, ce paradoxe s’explique par l’opportunité que ces programmes représentent pour certaines : en effet, elles ouvrent des portes vers un niveau social élevé difficile d’atteinte. En témoigne un rapport du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), montrant que les candidates proviennent essentiellement de « la catégorie socioprofessionnelle des employées (23%) ou des personnes sans activité professionnelle (15%). Les métiers les plus exposés sont ceux de danseuse et serveuse. Les femmes de pouvoir, ayant fait de longues études, les cadres, les chercheuses […] ne sont jamais représentées dans ces programmes. »
Ces femmes n’ont donc pas d’autre choix que de répondre aux exigences du système et se conformer au modèle promu depuis plusieurs années, dans le but de réussir et de créer le « buzz » pour se faire connaître et ainsi s’extirper des classes précaires. Ainsi, elles apparaissent fréquemment à l’écran dans un concours à l’inculture assumé, soutenues par les hommes qui se placent en position de supériorité intellectuelle face à la bêtise féminine. Les paroles de Kevin Guedj, candidat dans les Marseillais, à propos de sa femme l’illustre très bien: « Carla, je l'aime beaucoup mais quand elle fait le test de culture G, j'ai envie de me mettre sous la terre. Heureusement qu'elle fait pas les comptes à la maison, sinon on serait dans la merde.».

Kevin Guedj dans Les Marseillais vs le Reste du Monde
Une vision stéréotypée qui s’étend au-delà des capacités intellectuelles. En effet, le corps des femmes est également sujet à controverse dans ces émissions. Présentant généralement un physique uniforme, les femmes semblent être cantonnées au cliché des tailles fines et formes apparentes, critères de beauté irréalisables de notre époque. La diversité n’est donc pas de mise. Il existe également un manque de représentation ethnique : les minorités, telles que les asiatiques ou les noirs, sont sous représentées voire totalement absentes. Cela souligne le fait que l’image de la femme belle présentée aujourd’hui à la télévision se résume à celle d’une femme blanche et mince.

Candidats de l’émission Moundir et les Apprentis Aventuriers
La pression sur le physique est assez présente face aux nombreux passages des participantes, dès leurs premières émissions, sous le bistouri. Les différences semblent vouloir être neutralisées : les femmes ne rentrant pas dans le carcan imposé, dites trop « masculines », sont tout de suite reprises et encouragées à modifier leur apparence pour devenir de « vraies femmes », telle que Ness dans Les Marseillais Asian Tour. Cette image renvoyée aux jeunes générations, dans le contexte d’ouverture sociale dans lequel nous sommes plongés aujourd’hui, semble totalement hors sujet et témoigne des évolutions nécessaires du milieu.
Enfin, c’est aussi toute la sexualité de la femme qui est remise en cause. Les participantes subissent un jugement constant sur toutes leurs actions, contrairement aux hommes, qui pourtant se permettent souvent d’adopter un comportement similaire. Simple reflet de la société ou impact du sexisme omniprésent dans ce milieu?
Cela semble résulter en réalité des deux, même si les mentalités commencent aujourd’hui à évoluer sur ce sujet, la télé-réalité témoigne de la persistance de cette vision archaïque. En effet, les candidates se font facilement lyncher sur les réseaux sociaux pour tout comportement, dont elles ne sont pourtant pas les seules fautives. C’est ainsi qu’Océane, participante des Marseillais ayant eu une aventure avec Benjamin alors que celui-ci était en couple, a subi un harcèlement sur les réseaux et s’est faite violemment insulter. Pourtant, le principal concerné n’a subi que très peu de conséquences dues à son acte. La production elle-même semble vouloir diffuser ce modèle de la « femme fautive », tel qu’en témoigne l’éviction de Kellyn de l’émission les Princes de l’Amour, après avoir eu une relation avec un autre participant sans en informer le programme. Lui a pourtant pu continuer l’émission sans subir de contrecoup.
Malgré tout, cette vision stéréotypée mise en avant par la télé réalité ne touche pas que les femmes. En effet, les hommes sont quant à eux victimes d’une culture de la virilité, qui les obligent souvent à affirmer un machisme prononcé. On note dans ces émissions des propos tels que « t’es un homme, porte tes couilles » ou encore une diffusion d'idées reçues, comme dans Les Anges, où un candidat affirme que « Dimitri râle parce que la cuisine est dans un sale état. Moi je suis tout à fait d'accord avec lui sauf que je dis à Dimitri : "Nous, on est des mecs, ce n'est pas à nous de faire ça, respecte-toi, c'est pas à l'homme de faire ça, c'est à la femme”. »
L’image de la femme « faible » est également fortement véhiculée, en présentant des épreuves physiques qu’elles sont incapables de gagner car taillées pour les hommes, promouvant ainsi la masculinité toxique, notamment dans Koh Lanta.
C’est donc l’image de l’homme et de la femme, même si celle-ci reste la principale concernée, qui est présentée dans ces émissions d’une manière désuète, dérangeante vis-à-vis de la société actuelle et de l’évolution des mentalités. D’ailleurs, le CSA a mis en garde de nombreuses chaînes sur le sexisme de leurs programmes depuis 2016, comme le rapporte le Monde.
Une hypersexualisation des femmes
Parfois particulièrement apparente, parfois plus subtile, l’hypersexualisation des femmes dans le milieu de la télé-réalité reste omniprésente.
Les femmes sont constamment renvoyées à leur corps, quelle que soit l’émission. En effet, certains passages du programme se rattachent au principe du « male gaze », ou regard masculin, dénoncé par le mouvement féministe, comme l'affirment les autrices du rapport du HCE précité. Les programmes de rencontres amoureuses, tels que les Princes de l’amour, en sont l’exemple le plus concret : lors de l’arrivée des nouvelles prétendantes, le cadrage reste souvent centré plusieurs minutes sur leurs corps, pendant lesquelles les autres participants n’hésitent pas à faire des commentaires, avant de pouvoir enfin découvrir le visage des prétendantes. Dans le contexte initial dans lesquels sont placés les candidats, la situation n’est pas particulièrement choquante, mais la présentation faite par les producteurs lui donne un caractère sexuel déplacé vis-à-vis du jeune public qui regarde ces émissions, et vis-à-vis du respect des femmes qui participent à ces programmes.
Les tenues légères sont également souvent de rigueur, notamment dans les débuts de la télé-réalité, avec des femmes qui apparaissent toujours en talons, mini shorts et t-shirts dans des contextes qui ne sont pas adaptés. Aujourd’hui encore, le HCE remarque que d’une manière subtile, « la télé-réalité montre au public des femmes sexualisées, même dans des contextes qui ne s’y prêtent pas ordinairement », comme le bikini dans la maison ou le peignoir transparent au petit déjeuner. Cela renvoie à la théorie de l’objectification de la femme, et à son impact nocif sur la santé mentale, telle qu’énoncée par Barbara Fredrickson et Tomi-Ann Roberts. On peut notamment citer le livre Sexisme Story sur Loana Petrucciani, qui montre cette tendance à la chosification de la femme dans la télé réalité et ses conséquences.

Caricature de Bridonet sur le sexisme dans la téléréalité
Les insultes lors des nombreux clashs qui peuvent se dérouler durant ces émissions ont également un caractère sexualisant, puisque des mots tels que « Bimbo », « cagole »,« fille la plus facile de France » ou encore « pute » n’hésitent pas à fuser.
Pour plus d’informations sur l’hypersexualisation, notamment concernant les petites filles dénoncée dans le film Mignonnes de Maïmouna Doucouré, Décryptage Citoyen International a écrit un billet décryptage spécialement pour vous.
Des évolutions récentes
Malgré cette réalité à laquelle se confronte la télé-réalité, une certaine évolution reste tout de même à souligner.
En effet, la télé-réalité à son début reste bien différente de celle d’aujourd'hui. Souvent épinglée pour son sexisme, des modifications ont été apportées. Ainsi, on voit désormais apparaitre des candidates qui ne cherchent plus à répondre au modèle de la « bimbo stupide » pour apparaitre à l’écran. Au contraire, il semble désormais plus attendu de montrer une personnalité réfléchie et classe, avec des tenues moins provocantes.
Certaines candidates revendiquent d’ailleurs leur intelligence, tel que Maissane des Marseillais qui prône un QI de 147, ce qui est un changement notable vis à vis des anciennes émissions.
Concernant les tenues des candidates, le groupe NRJ se justifie par le fait de calquer les codes de l’univers musical, lui-même très sexualisé. Le Haut Conseil à l’égalité (HCE) répond ainsi que « cette référence à la pop-culture est importante car il n’est pas exclu qu’il faille affiner l’analyse et que l’hypersexualisation des personnages féminins ne soit pas toujours la traduction d’un asservissement aux codes de la domination masculine mais soit vécue comme une forme d’empouvoirement des femmes, usant de leur corps comme une arme d’affirmation de soi ».
De plus, des anciennes participantes cherchent désormais à renverser l’image qu’elles ont pu donner, en affichant leur évolution et leur place prépondérante dans le milieu. Se présentant désormais comme des businesswomen indépendantes, elles possèdent des sociétés florissantes, comme Nabilla Benattia ou encore Jessica Thivenin.
Les forts caractères et l’affirmation de certaines personnalités permettent également de renverser en partie ce stéréotype de la « faible » femme qui jusqu’alors était de mise dans la télé-réalité, avec des participantes telles qu’Alix ou Hilona qui n’hésitent pas à s’exprimer et à s’imposer, quitte à recevoir les critiques de l’audience.
Conclusion
Les mentalités sont donc petit à petit en train d’évoluer dans le milieu, même s’il reste encore un chemin important à faire notamment au niveau des stéréotypes concernant le corps et la sexualité des femmes. Comme le souligne l’historien Christophe Delporte, « la télévision est globalement plus respectueuse des femmes qu’il y a quelques années », et malgré tout, cela reste important à souligner.
Le HCE a proposé dans son rapport de faire signer une charte d'engagement « à avoir des réponses de bon niveau au regard des indicateurs de la grille du CSA » aux chaînes diffusant ces programmes de télé-réalité. Elle suggère également de profiter du projet de loi sur l'audiovisuel pour y intégrer un renforcement du rôle du CSA afin de permettre d'imposer à chaque chaîne de progresser annuellement sur la présence des femmes à l'antenne et la lutte contre les stéréotypes.
Décryptage Citoyen a pour but principal de décoder l’actualité, pour un citoyen plus éclairé
Agathe Holly, rédactrice chez Décryptage Citoyen International
Le 27 juillet 2021
Pour aller plus loin :
Documentaire sur TF1, Zoom : La télé-réalité encourage-t-elle les stéréotypes sexistes?
Le mythe de la virilité de Olivia Gazalé
Théorie de l’objectification de la femme par Barbara L. Fredrickson
Articles, rapport et enquêtes cités dans cet article:
Haut Conseil à l’égalité, Rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France en 2019
Mademoizelle, Mon rapport aux Marseillais, et au sexisme de l’émission, 5 avril 2019
Le Monde, La téléréalité épinglée pour sexisme, 24 juin 2016
Libération, La télé réalité est une grande pourvoyeuse de sexisme
Projet de loi sur l’audiovisuel
Libération, Le “male gaze”, bad fiction
CSA, Les résultats de la vague 2018 du baromètre de la diversité
Sources:
La Dépêche, La téléréalité est-elle sexiste ?, 8 mars 2020
Actu.fr, Bimbos, culte de la virilité... La téléréalité est-elle sexiste
La croix, Les émissions de téléréalité épinglées pour leur sexisme, 2 mars 2020
Stratégies, La télé-réalité, un tort à l’image de la femme, 4 février 2019